La Marine nationale et la guerre du Golfe

La Marine nationale a pris une part active dans le conflit du Golfe à partir du mois d’août 1990, que se soit pour l’acheminement du matériel destiné à la reconquête du Koweit ou pour l’application de l’embargo décidé par les Nations Unies contre L’Irak. Ses activités coordonnées dans le cadre des opérations interalliées ont permis de contrôler des zones de navigation de première importance.

Du patrouilleur au porte-hélicoptères, 34 bâtiments avec leur détachement d’hélicoptères, 6 Breguet Atlantic, 3 commandos ont participé aux opérations du Moyen Orient. Ces équipages représentèrent près de 6.800 marins, soit 10% des effectifs totaux de la marine ou un tiers de ses effectifs embarqués.

Salamandre

Dès l’invasion du Koweit par les troupes de Saddam Hussein, la France monte l’opération « Salamandre« , c’est-à-dire le transport du 5ème RHC (Régiment d’Hélicoptères de Combat) vers l’Arabie Saoudite (30Gazelle et 12 AS 530B Puma). Cette unité fait partie de la 4ème Division Aéromobile de la FAR (Force d’Action Rapide) embarquée sur le porte-avions R98 Clemenceau escorté du croiseur C611 Colbert, du pétrolier ravitailleur A608 Var et du remorqueur A696 Buffle. Le régiment quitte Toulon le 13 août et arrive à Abou Dhabi le 22 août.

Base aérienne mobile, libre de ses mouvements en haute mer et manoeuvrant en permanence à proximité des zones de déploiement possible des forces terrestres, le porte-avions a démontré sa souplesse d’emploi dans toutes ses configurations. Au moment voulu par le président de la République, le 23 septembre 1990 le 5ème RHC a été débarqué à Yanbu.

Le débarquement de ce régiment, première force européenne déployée sur le territoire de l’Arabie Saoudite, marque le début de l’engagement aéroterrestre de la France.

Le Clemenceau et son escorte quittent l’Arabie Saoudite le 25 septembre pour rentrer à Toulon le 5 octobre, tandis que le Foch restait paré à Toulon, avec son groupe aérien au complet, pour toute intervention qui aurait pu lui être confiée. L’opération Salamandre est alors terminée et laisse place aux autres opérations en cours… Dans tous les états-majors, on prépare ainsi activement le transport d’une armée capable de reconquérir le Koweït.

Transport de l’opération Daguet

Après la première opération réalisée par la Marine Nationale (Salamandre), le transport de la division Daguet se fit par l’intermédiaire de navires civils suivant la loi dite TRAMIN (TRAnsport Maritime d’Intérêt National) du 20 mai 1969 qui complète celle du 11 juillet 1938 sur les réquisitions d’urgence en temps de guerre.

Les bâtiments civils battant pavillon français sont susceptibles d’être réquisitionnés dans la FAO (Force Auxiliaire Occasionnelle) dont la liste comporte environ 60 noms. Le stade suivant est la création dc la FMC (Force Maritime de Complément) et implique l’armement des navires civils pour des missions militaires et, de ce fait, pourraient être repeints en gris et armés.

Pour le transfert de la division Daguet, la Marine Nationale a fait appel a la FAO et affrété 23 bâtiments civils dont l’Atlas qui effectua 5 rotations. L’Ile de la Réunion et le Tchékov en firent trois. Le Cap Ferrat, le Salorges, le Monthléry, le Cap d’Afriqueet le Penerf en accomplirent deux.

15 autres bâtiments n’effectuèrent qu’une rotation : Corse, Castelet, Esterel, Girolata, Casablanca, Coutances, Armorique, Dock Express France, Ile Maurice, Chartres, Ile de Beauté, St Romain, Paimpolaise, Donington et un espagnol, le JJ Sister.

La « Royale » effectua plusieurs transports de matériel avec les TCD L9011 Foudre et L9021 Ouragan. Il faut savoir que le voyage, a une vitesse de 15 nœuds, entre Toulon et Port Saïd prend 4 jours ; au départ de Brest, il prend 8 jours ; Suez-Djibouti prend 3,5 jours et Suez-Ormuz demande 7 jours.

Un total de 50 rotations de navires marchands et militaires furent effectuées pour transporter 75.000 tonnes de matériel représentant un volume de 400.000 m3 pour 4.000 conteneurs et 4.000 véhicules en plus des 9.000 hommes de troupe. L’Escadre de la Méditerranée a fourni une escorte aux navires chargés du matériel de l’opération Daguet. Elle était composée d’aviso du type A69, notamment le F781 D’Estienne D’orves, le F783 Drogou, le F786 QM Anquetil et le F787 Cdt de Pimodan. Une fois en Mer Rouge, les navires de transport étaient escortés soit par les bâtiments dépendant de Djibouti, soit des forces de l’UEO, soit des américains ou encore des saoudiens.

En soutien médical de l’opération Daguet, la France envoya à Yanbu l’A618 Rance, bâtiment de soutien santé particulièrement bien équipé en bloc opératoire. De plus leTCD L9011 Foudre, après des rotations de transport de matériel fut ancré à Yanbu pour épauler la Rance.

Peu avant le debut de l’offensive terrestre, le haut commandement demanda au Foudre de se déplacer au large du Koweit pour donner un appui santé supplémentaire.

Artimon

Contrôle de l’embargo et les opérations Artimon

Le 6 août 1990, l’ONU décrète, par la résolution 661, le boycott commercial, financier et militaire de l’Irak. Puis le 25 août, la résolution 665 qui autorise l’emploi de la force et la visite des bâtiments soumis à l’embargo. Une des craintes des états-majors est que des bateaux civils puissent être transformés en poseurs de mines anonymes, menaçant les voies maritimes; cette crainte implique une fouille approfondie des bâtiments douteux.

Les forces françaises employées dans le cadre du contrôle de l’embargo sont intégrées dans celles de l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) et réparties dans les trois missions Artimon :

  • Artimon Est pour la surveillance du Détroit d’Ormuz entre le Golfe Persique et le Golfe d’Oman et qui reprend l’ancienne mission Ariane en cours au moment de la guerre Iran-Irak ;
  • Artimon Ouest contrôle le Détroit de Tiran à la sortie du Golfe d’Aqaba ;
  • Artimon Sud contrôle le Détroit de Bab el Mandeb au débouché de la Mer Rouge.

Dès le 6 août, cinq bâtiments sont affectés aux missions Artimon, dont les avisosF726 Commandant Bory, F795 Commandant Ducuing et F748 Protet basés à Djibouti. Le 2 août, la frégate D641 Dupleix quitte Toulon suivie le 8 août par la frégate D642 Montcalm ; elles sont accompagnées du pétrolier ravitailleurA629 Durance. En octobre 1990, ces bâtiments seront renforcés par la frégate D645 La Motte Picquet et l’escorteur d’escadre D630 Du Chayla.

Le 5 décembre 1990, la frégate D643 Jean de Vienne et l’aviso F792 PM l’Her appareillent pour le golfe arabo-persique. Le Jean de Vienne rejoint à Dubai le La Motte Picquet pour le remplacer. Le Jean de Vienne sera engagé dans cette guerre aux côté des alliées pendant toute la durée du conflit (15 janvier au 28 février 1991). Ce fut le seul bâtiment de la Marine nationale à avoir été engagé dans les forces de surface sous commandement et contrôle opérationnels des américains. Après près de 2 mois sans escale, le Jean de Vienne sera relevé par le Latouche Tréville début mars 1991. Le Jean de Vienne rejoindra la mer rouge pour participer à la mission Artimon et rejoindra Toulon mi-avril 1991. Début février; la frégate D646 Latouche Tréville ira remplacer sa consoeur La Motte Picquet qui rentre à Brest en mars 1991. A noter un seul et unique tir de semonce durant l’opération, tir effectué par le Doudart de Lagrée.

Le contrôle du trafic maritime dans une zone, c’est avant tout « identifier » et « reconnaître » les bâtiments qui y croisent. L’identification consiste à détecter le navire, au radar ou à la vue, alors que la reconnaissance implique de rentrer en contact, radio ou optique, avec celui-ci. Pour mener à bien ces deux opérations, le « central opérations » et la passerelle doivent étroitement coopérer. Dès qu’un batiment marchand est contrôlé un dialogue s’amorce avec le client : « Merchant ship on my port side, this is the French war ship calling you on channel… What is your name, your ship owner, your home port, your destination… »

La plupart du temps les capitaines marchands coopérent immédiatement, mais le petit jeu des questions réponses ne suffit pas toujours : Certains navires se comportent de façon étrange ou ont été signalés suspects. Le commandant doit alors prendre l’initiative d’aller y regarder d’un peu plus près. Pour de telles interventions des commandos-marine, intégrés à l’équipe du bord, apportent leur professionnalisme dans le maniement des armes et le calme de ceux qui sont habitués aux actions délicates.

La visite est le temps fort d’une opération de contrôle de l’embargo.

Il s’agit d’une intervention qui, en temps normal, ferait frémir tout juriste international. En haute mer, le droit de visite n’est en effet ouvert, aux bâtiments de guerre, qu’à l’égard des navires de leur propre pavillon (sauf cas tout à fait particuliers tel la traite ou la piraterie). Mais à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : le 25 août le Conseil de sécurité de l’ONU, dans sa résolution 665, demande « aux états membres qui (…) déploient des forces navales dans la région, de prendre des mesures qui soient en rapport avec les circonstances du moment (…)pour arrêter tous les navires marchands (…) afin d’inspecter leur cargaison et de s’assurer de leur destination « . C’est une première, pour les juristes comme pour les marins.

La procédure est immuable : après avoir demandé au navire suspect de stopper, les zodiacs de l’équipe poussent vers lui et les « visiteurs » escaladent l’échelle de pilote disposée à flanc du navire. Répartis dans tout le bord en binômes, les membres de l’équipe de visite, sous le commandement d’un officier, restent en contact permanent, entre eux et avec la passerelle de leur navire. Le commissaire examine les documents que lui présente le capitaine : liste d’équipage, documents d’immatriculation, journal de bord, manifestes douaniers… Il s’agit alors de tenter de voir clair dans les rapports complexes entre propriétaires, affréteurs, sous affréteurs, consignataires et destinataires ensuite c’est ensuite au tour de la cargaison d’être examiné, cela peut durer plusieurs heures… Avant que le capitaine se voit autorisé à poursuivre sa route.

Les forces de l’UEO procèdent aussi au contrôle de l’embargo avec les navires anglais (frégates et destroyers), belge (une frégate), italiens (deux frégates), espagnols (deux frégates), hollandais (deux frégates). Les forces de l’UEO (France comprise) effectuent plus de 70% des reconnaissances ; l’US Navy procède à environ 55% des visites.

Au 12 février juste avant le déclenchement de l’opération Desert Storm, le contrôle de l’embargo par toutes les marines impliquées (USA, UEO, Grèce, Australie, Canada, Danemark, Argentine) représentait 24.694 reconnaissances dont :

– 7.170 pour l’US Navy,
– 10.606 pour l’UEO (moins la France)
– 6796 pour la France.

Le nombre de visites s’élevait à 924 dont 513 pour l’US Navy, 172 pour l’UEO (moins la France) et 134 pour la France. Il y eut aussi 47 déroutements (40 par l’US Navy, 3 par l’UEO et 4 par la France) et 14 tirs de semonce (10 de l’US Navy, 3 de l’UEO moins la France et 1 de la France par le Doudart de Lagrée).

Au 25 mars 1991, ces chiffres passent à 28.586 reconnaissances, 1107 visites, 62 déroutements et 14 tirs de semonce.

Les missions de contrôle continueront après la fin des combats. Au 27 mai 1991, les chiffres se montaient à 32.508 reconnaissances :

– 9.842 pour l’US Navy,
– 13.946 pour l’UEO moins la France
– 8.518 pour la France),
– 1.477 visites (710 pour l’US Navy, 312 pour l’UEO moins la France et 279 pour la France)
– 89 déroutements (72 pour l’US Navy, 6 pour l’UEO moins la France et 8 pour la France). Il n’y a plus eu de tirs de semonces depuis la fin des hostilités ouvertes.

Ces chiffres donnent la dimension du travail accompli par toutes les marines pour faire respecter l’embargo contre l’Irak, ce qui fut l’un des facteurs majeurs de la réussite des actions entreprises pour briser la volonté de résistance du peuple irakien. L’intégration des marines alliées fut totale et efficace ; c’était l’aboutissement de 40 années d’exercices en commun. Cependant, les difficultés ne manquaient pas car les visites de bateaux de commerce dans les eaux internationales étaient une première en droit international. Les marins effectuant les reconnaissances et les visites ont dû apprendre à connaître toutes les subtilités administratives, les connaissements des documents d’immatriculation, des papiers de douane de tous les pays du monde, démêler les liens entre les propriétaires, armateurs, affréteurs, sous-affréteurs et destinataires. Certains « clients » ne sont pas nécessairement coopératifs ; ainsi, le 20 décembre, on signale l’arrivée d’un bâtiment irakien – l’AI Taawin AI Aradien – en route vers Aqaba; aussitôt, un P-3C Orion et trois bâtiments de surface – le croiseur CG-56 USS San Jacinto, l’escorteur D 630 Du Chayla et la frégate F34 Infanta Cristana – sont dépêchés vers le navire irakien ; ce dernier refusant de répondre aux interrogations radio, le croiseur us tire une salve de semonce qui ramène le commandant irakien à la raison et lui fait accepter d’être visité mais uniquement par les français ; la visite est effectuée par une équipe de fusiliers-marins sous la protection des armes des trois bateaux pour prévenir tout piège.

Peu de bâtiment ayant participé aux missions de contrôle sont appelés « Centurion », c’est-à-dire ayant effectué au moins cent visites de contrôle. L’escorteur D630 Du Chayla entre de justesse dans ce club très fermé, effectuant sa centième visite le 5 avril 1991, juste avant de quitter la Mer Rouge pour regagner la France. Il rejoint ainsi les bâtiments de l’US Navy, la frégate FFG-58 USS Samuel B. Roberts et la frégate FF-1082 USS Elmer Montgomery.

Guillaume Rue

Sources : Armées D’aujourd’hui et Armées & Défense N°19

 

Stéphane GAUDIN
Stéphane GAUDINhttps://theatrum-belli.com/
Créateur et animateur du site OPERATION-DAGUET.FR depuis 2010. Créateur et Directeur du site défense THEATRUM-BELLI.COM depuis 2006. Créateur et animateur des sites : AMICALE.35RAP.FR / PILOTE-DE-MONTAGNE.COM. Officier de réserve citoyenne Terre, rattaché au 35e RAP depuis 2018. Officier de réserve citoyenne Marine (2012-2018).

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