100 heures, ce fut la durée de l’offensive terrestre, déclenchée le 24 février 1991, opération « Desert Storm », « Tempête du désert ».
Evoquer cette guerre c’est se référer au dernier conflit infra-nucléaire d’une époque de « guerre froide » tout juste effondrée, avec, notamment, le choc de masses blindées mécanisées. C’est aussi entrer dans l’espace des crises actuelles et en se limitant à la France mesurer les évolutions, parfois les révolutions, envisagées, opérées, achevées ou annihilées.
L’offensive terrestre ne peut être détachée, bien sûr, d’un contexte politique international qui permit sa mise en œuvre, par la montée en puissance des forces. Elle s’intègre, aussi, dans une coalition spécifique et une combinaison, interarmées souvent, d’unités provenant de divers pays et de valeurs inégales.
En rappelant à grands traits les événements internationaux, je décrirai, dans un premier temps, l’immense effort logistique, clef de voûte de cette extraordinaire projection de forces. Je rappellerai le rôle essentiel de nos unités dans la première phase du conflit « Bouclier du Désert » « Desert Shield » et dans l’offensive qui suivit.
Enfin, je mentionnerai quelques-unes des conséquences de cette guerre sur notre système de défense.
2 août 1990 : les forces irakiennes qui, de longue date, s’entraînaient à proximité du Koweit, envahissent ce pays souverain, bousculent une faible résistance, s’emparent des réserves de pétrole (20 % des réserves mondiales).
Les 27 divisions vont-elles déferler vers la zone des puits de pétrole de Dahran ou bien vont-elles s’enfoncer vers Rihyad et pourquoi pas Médine. Les voies d’accès leur sont ouvertes.
Elles s’arrêtent et s’installent.
Si le 6 août un accord du roi Fahd permet le déploiement de forces américaines sur le sol du royaume, c’est le 14 septembre que la France décide :
– d’engager le volume d’une demi-brigade légère blindée (3.500 hommes) renforcée d’un régiment d’hélicoptères,
– de déployer un dispositif aérien en Arabie Saoudite.
Je passe sur les autres opérations d’accompagnement dans les zones voisines.
Peu a été dit sur cette formidable réussite, en partie improvisée, de notre projection de forces.
Nous avions l’habitude des théâtres africains, mais le niveau et la nature des forces tout comme les modalités d’engagement innovaient grandement. Chef de la division organisation-logistique à l’état-major des armées, je me trouve placé au cœur du débat.
Heureusement des instruments existent ; en premier lieu la loi Tramin (Transports Maritimes d’Intérêt National) qui nous permet de faire appel à la Force auxiliaire occasionnelle FAO (ceci n’existe pas pour les moyens aériens). L’armée de terre vient de « peaufiner » le système SINTROPS « Système Intégré de Transports Opérationnels » centré sur l’excellent complexe Miramas-Istres-Fos (port qui ne sera pas utilisé). Les difficultés initiales de compréhension existent avec l’armée de l’air en ce qui concerne la « mutualisation » des moyens dans un cadre interarmées mais les esprits évolueront au fil du temps.
Combien d’anecdotes pourraient illustrer ces moments parfois surprenants : de l’impérieuse primauté de la livraison du Beaujolais nouveau au monde entier qui nous prive des 747 cargos, de la francisation de bateaux russes, de l’aide diffuse de l’UEO, de l’attitude de certains syndicats, etc.
Parmi ces réalisations comment ne pas retenir l’exceptionnel effort en matière de santé. Bien des critiques ont pu être avancées, a posteriori forcément, quant au niveau des pertes arrêtées (3 %), référence pour l’organisation avec le service de santé d’un édifice qui, fort heureusement, n’a pas été fortement sollicité.
Comme je l’ai indiqué à une députée ignorante et sectaire, membre d’une mission d’information, nous aurions été coupables de ne pas avoir pris les décisions qui, 10 ans après, hors de leur contexte, peuvent se prêter à des débats ésotériques et déplacés.
Troisième caractéristique de cette phase, la tyrannie des effectifs, celle imposée par les décideurs politiques dit-on, 3.500 et pas un de plus ! L’efficacité et la cohérence opérationnelles ne peuvent qu’être dégradées fortement par de telles approches, nuisant à l’organisation des forces ; des régiments partiront avec des ECS squelettiques, inadaptés. Réduire le nombre de « marchands de soupe » n’est pas le gage le plus pertinent de la réussite attendue (nous connaîtrons de sérieux avatars d’intoxication alimentaire). Sans tarder, il nous fallut bien sûr compléter ces effectifs et même les renforcer.
En effet, nous ne devons pas oublier qu’en l’espèce nous n’avons pas les ressources de la mobilisation pour honorer les besoins des « compléments guerre » de nos tableaux d’effectifs.
Dans le même temps, ce sont des unités entières qui doivent être constituées comme le groupement de soutien logistique (GSL) tandis que les soldats professionnels (les engagés) doivent être recherchés dans les formations hors Force d’Action Rapide, les appelés étant bannis du théâtre d’engagement.
Rappeler cela n’est pas digresser, mais, bien au contraire souligner que la logistique prime en matière de projection et qu’il faut en avoir les moyens nécessaires (un homme c’est aujourd’hui 3 mètres linéaires et 1 demi conteneur de 20 pieds en matière de soutien).
La Division Daguet, vivant dans le désert, achève sa mise en place au cœur de l’Arabie Saoudite, le 14 octobre.
Elle contrôle les débouchés de l’ouadi Al Batin à partir de deux zones successives de déploiement en fonction de l’arrivée de forces islamiques en 1er échelon.
Son remarquable entraînement, dans des modes d’action interarmes inédits, sous une menace chimique intensément vécue, la préparent à l’engagement offensif dont le général Mouscardes son chef, bâtit les plans en liaison étroite avec les Américains, le commandant des forces françaises à Rihyad, le général Roquejeoffre, le CEMA.
Dans la nuit du 16 au 17 janvier se déclenche l’offensive aérienne ; la division se porte aussitôt à 300 km à l’ouest à proximité de Rafah tout en assurant la couverture du transit du 18 CA, venant de Dahran, qui la prend sous son contrôle opérationnel.
Chef du centre opérationnel des armées (COA) cette nuit-là, je vis les événements en acteur par la transmission des ordres du Président de la République et en spectateur devant la chaîne CNN.
Permettez-moi de rendre un hommage au général Mouscardes, mon ancien, qui, avec de terribles souffrances physiques, doit supporter l’intense douleur d’être rapatrié et de ne pas conduire ses unités au combat.
Le 7 février, quelques heures me sont laissées pour partir, « à cheval » sur le lot quotidien de bombes apportées en DC 8 pour alimenter la bataille aérienne. Quelques jours pour mesurer, sur le terrain, la réalité d’une manœuvre tant de fois examinée sur la carte au COA pour rencontrer les unités que je ne connais pas, françaises et américaines, pour accueillir le Premier ministre (comme si nous en avions besoin !) pour apporter aux dispositions générales planifiées des amendements qui me paraissent nécessaires, à la veille de l’offensive, avec le CEMA.
Je crois devoir citer comme un exemple de courage intellectuel les propos d’un chef de corps que je rencontre : « Voici ce qui m’est demandé, je le ferai sans réserve mais le nombre de morts que nous risquons pèsera toujours sur ma conscience. Voici donc ce que je vous propose… » ce qui sera d’ailleurs réalisé.
La division prend son dispositif de combat et vit sommairement à 4 km en deçà de la frontière irakienne : l’effet de surprise du débouché doit être majeur. Forte de plus de 13.500 hommes dont 9.500 Français, elle intègre dans son dispositif 4.200 Américains placés sous contrôle opérationnel dont une brigade de la 82e division parachutiste (la 2/82 dont les anciens ont sauté sur Sainte-Mère-l’Eglise en 1944).
Que dire de la division Daguet : une force considérable en combattants, une puissance de feu remarquable, 100 tubes de 155, des lance-roquettes multiples, 60 hélicoptères antichars, 160 postes de tir antichars d’infanterie, 96 AMX-10 RC, 44 AMX-30, etc.
Au-delà de ces moyens, la réunion exceptionnelle de soldats les plus expérimentés, rassemblement de formations françaises et américaines d’un niveau technique jamais atteint, y compris le bataillon d’artillerie de la Garde Nationale américaine fort bien entraîné qui rejoint trois jours avant l’attaque. Tous ces soldats ont connu des expériences éprouvantes au cours de leur entraînement comme d’engagements antérieurs. Ils se sont solidement préparés, sans concession dans des conditions difficiles.
Mais plus encore des soldats sereins, forts de leur puissance, confiants dans la qualité de leurs moyens, attachés à leurs chefs, conscients de l’importance de leurs missions, sûrs de leur victoire et de leur suprématie soutenus par un élan profond de leurs concitoyens dont l’attachement et les encouragements ne cessent de se manifester (colis, lettres, dessins d’enfants des écoles…).
Deux mots encore avant la description de l’attaque…
Les mines et l’arme chimique sont mes soucis essentiels, les mines seront sans doute sur les points de passage obligés, que je dois conquérir pour déboucher, seront peut-être devant les points d’appui organisés dans la profondeur dans lesquels les Irakiens sont solidement retranchés, seront peut-être et sans doute même autour de l’aérodrome à As Salman. Le chimique, phénomène si redouté, mais devenu une menace constante et si familière ; nous sommes bien équipés, entraînés, nos moyens de décontamination sont organisés… le désert est vaste. Le danger se situera en particulier au moment de l’attaque lorsque les formations seront concentrées sur l’avant ou bien sur les zones logistiques le long de l’axe Texas. Tout le monde est bien alerté sur ce danger.
Ne mesure-t-on pas le caractère « égalisateur » de la menace qui sensibilise l’arrière presque plus que l’avant car en mouvement le grenadier-voltigeur dans le VAB pressurisé « est plus à l’abri » que le conducteur de véhicule poids lourds ou le soutier des essences.
Nous avons heureusement une totale suprématie aérienne, mais la menace existe surtout à l’arrivée sur As Salman, celle d’un raid de quelques avions.
Suprématie aérienne qui nous assure la quiétude dans nos regroupements, mais nous sommes vigilants : missiles sol-air très courte portée Mistral (de jour) et Crotale français, Hawk, Patriot américains nous couvrent : suprématie qui nous fournit en renseignements dans la profondeur, en particulier nos F1-CR et Jaguar ; suprématie qui de jour en jour accable les positions ennemies de bombardements, avec l’action de nos Jaguar aussi. Réduction de potentiel, impact psychologique qui aideront notre action.
Face à nous, la 45e division d’infanterie irakienne ; nous savons peu de choses sur son dispositif et son potentiel. Elle dispose en théorie de 9 bataillons soit 11.000 hommes mais au moins de 3 à 4 bataillons d’infanterie organisés en points d’appui, 1 bataillon d’au moins 50 chars T-55 ou T-59 et de plus de 50 canons d’artillerie 122 et 132 m/m, avec des armes antiaériennes (quadritubes ZPU 4, canons bitubes 23 m/m, redoutables pour nos hélicoptères).
Le terrain de notre espace de manœuvre nous est inconnu ; face à nous, une barrière rocheuse s’abaissant d’ouest en est ; un plateau rocailleux et sableux avec un escarpement à mi-parcours sur l’axe central ; puis la dépression d’As Salman donnant accès à l’Euphrate ; les cartes sont sommaires ; seules quelques spaciocartes ont été distribuées juste avant l’offensive établie à partir des données satellitaires (SPOT) qui précisent des détails.
Un terrain difficile qui nous réservera bien des surprises malgré toutes nos études avec des étendues de cailloux redoutables pour nos pneumatiques, mais l’expérience aidant celle acquise sur d’autres théâtres et la préparation logistique (roues de rechange, soutien intégré dans l’échelon de combat, etc.), nous sommes parés.
Le plan stratégique consiste à rechercher la destruction des forces blindées irakiennes, déjà amoindries par les attaques aériennes dans un large mouvement tournant conduisant à leur enveloppement puis à leur destruction par un assaut puissant. Le débarquement à terre au Koweit, attendu par les Irakiens, annoncé par les médias, ne sera pas mis en œuvre. C’est un leurre.
Quelle est notre mission ?
S’emparer au plus vite de l’aérodrome d’As Salman et de son carrefour de routes, conduisant vers l’est et vers l’Euphrate en direction du nord.
Cette zone est le pivot de la manœuvre du 18e CA US qui, à partir de là, doit infléchir son attaque vers l’est pour courir à l’Euphrate et barrer les axes de communications qui le bordent notamment avec la 24e division mécanisée ; l’aérodrome doit servir de base logistique pour le soutien de cette bataille (ce ne sera pas nécessaire).
Nous avons une mission essentielle et notre attaque précède de 24 heures celle du 7e CA US à l’est sur 150 km de front, corps de bataille principal (4 divisions blindées dont la 1re division britannique) et celle de l’ensemble des forces de la coalition islamique.
Notre manœuvre fondée sur la surprise, s’organise autour de 2 ensembles autonomes, susceptibles de s’appuyer et de se soutenir notamment pour détruire le môle principal de défense irakien au centre de la zone d’engagement. Organisé sur la bordure d’un plateau rocheux, ce dispositif comporte de solides fortifications barrant l’excellent axe routier qui de la frontière saoudienne conduit jusqu’à l’Euphrate au nord, route comportant d’ailleurs des espaces susceptibles de servir de zones de lancement de missiles ou de déploiement d’artillerie.
Si nous ne débouchons pas sur l’axe Texas, son nom de code, la 82e division US de parachutistes prendra notre relève car nous devons absolument atteindre As Salman sans nous attarder. D’autres plans d’urgence sont préparés avec la 101e AA et la 24e Div Méca.
4.200 Américains servent sous mes ordres et c’est la première fois depuis bien longtemps qu’un officier général français commande des GI’S et quels GI’S : ceux du corps d’intervention américain et ceux de la 2e brigade de la fameuse 82e division « All Americans ».
Je tiens à souligner la chaleureuse ardeur d’un travail en commun avec les forces américaines sous mon commandement ou voisines grâce à des détachements de liaison auprès de nous, des officiers américains parlant français souvent remarquablement ; auprès des forces américaines, des officiers de liaison français, anglicistes avertis sont mis en place. C’est une parfaite compréhension mutuelle comme la 6e DLB l’a si souvent pratiquée dans des manœuvres amphibies en Méditerranée avec des Marines.
Comme je l’ai personnellement connu août 1982 à Beyrouth lorsque, m’engageant vers le centre ville avec le 2e Régiment Etranger de Parachutistes, je confiais alors le contrôle du port de Beyrouth au lieutenant-colonel Johnston qui commandait un bataillon des Marines, devenu général chef d’état-major auprès du général Schwarzkopf.
Etant chargé de l’effort principal du 18e CA nous bénéficions des priorités de feux avec notamment quasiment en permanence une patrouille d’avions A-10 ou F-16 en mesure de nous appuyer ; ceci donnera lieu 10 ans après à des polémiques ridicules sur les dangers résultant des obus à uranium appauvri des A-10.
Ces opérations préliminaires sont autorisées le 18 février c’est-à-dire la recherche du renseignement dans la profondeur du dispositif irakien ; ce sont des raids d’hélicoptères américains opérés de nuit – les nôtres ne peuvent combattre de nuit. Les enregistrements vidéo opérés nous permettront de nous familiariser avec le terrain. Trois jours avant la date de l’offensive, nos commandos pénètrent en Irak afin de capturer des prisonniers, trop tard dans la zone centrale de notre division, les éléments de surveillance se sont repliés.
Le 22 février, anticipant l’attaque générale, nous nous emparons d’un espace de débouché au-delà de la barre rocheuse face à nous, obstacle d’importance que nous pensions couvert de mines et défendu ; il n’en est rien, quelques éléments ennemis isolés se replient.
Le 23 février au soir, mon poste de commandement est installé en Irak prêt à coordonner l’assaut du 24 février matin.
Passons rapidement sur l’exécution de la manœuvre, combinaison réussie du feu et du mouvement terrestre ou aérien (hélicoptères). La concentration des efforts dans le temps et l’espace n’obère pas l’agilité d’une manœuvre offensive conduite sans esprit d’alignement, soumise aux contraintes du terrain, des conditions atmosphériques et des hommes.
Déclenchée à 5 heures du matin, elle conduit nos unités aux abords des défenses principales irakiennes vers 12 heures, nom de code Rochambeau. Celles-ci sont enlevées à 14 heures après une puissante préparation de feux de toutes natures et dans un assaut latéral déroutant les Irakiens qui opposent une résistance sporadique.
Remarquons la supériorité que nous apporte le GPS dans les capacités de manœuvre au cœur d’un désert inconnu avec des cartes incertaines. Les Irakiens n’avaient manifestement pas imaginé ces possibilités, centrant toutes leurs défenses sur les axes, dont des pistes de désert qui autorisaient de larges contournements !
L’hiver est peu clément dans cette zone, nous en mesurerons la violence des tornades de pluie et de vent. La tempête de sable, l’imbrication de nos unités autour du môle « Rochambeau », l’engluement résultant de près de 3.500 prisonniers me conduisent le 24 au soir, à marquer un temps d’arrêt de nuit, permettant de recompléter en carburant les chars dont les moteurs tournent sans arrêt depuis 4 heures du matin.
Le lendemain 25 à l’aube, les groupements s’élancent de nouveau. A 17 heures le groupement ouest s’empare de l’aérodrome d’As Salman, le groupement est contrôle les abords de la bourgade. La mission est remplie, 36 heures après le débouché.
Concentration d’une surpuissance de feux, agilité dans la manœuvre au sol ou à quelques mètres au-dessus, efficacité de notre chaîne de commandement, de nos PC, solidité de nos matériels, présence de notre logistique à tout instant, entente avec les Américains, valeur de nos troupes, tout nous conduit au succès dans la mission.
Le déploiement se poursuivra le 26 dans le village et vers l’Euphrate en une large couverture du flanc ouest (nos fanions d’unités, américaines et françaises, baigneront leurs plis dans l’Euphrate, image combien symbolique).
Le 26 matin, le 7e CA engage les formations de la Garde Républicaine ; la division britannique détruira près de 300 chars ou transports de troupe. Au soir du 27, le potentiel blindé irakien est annihilé pour sa plus grande part. On dénombre près de 60.000 prisonniers et 1.500 chars détruits. Koweit-City est libérée le 27 février.
Le 28 le cessez-le-feu unilatéral est décidé par la coalition. La guerre aura duré cent heures. Les conditions de cessez-le-feu sont signifiées aux Irakiens, qui les acceptent, le 3 mars (résolution 686) ; des divisions blindées irakiennes ont pu regagner l’Irak et la révolte chiite dans la vallée de l’Euphrate est écrasée par le pouvoir de Saddam Hussein.
Dès le 17 mars, les formations arrivées en septembre 1990 sur le territoire saoudien, sont acheminées vers Yambu et défilent le 27 mars à Toulon sous les ovations et dans l’enthousiasme populaire rappelant la Libération. Je rejoindrai le 1er mai Toulon avec les derniers éléments de la division Daguet.
La France vient de changer de nature dans ses interventions. La guerre du Golfe met définitivement fin à l’engagement de ses forces sous menace nucléaire dans un vaste choc de blindés mécanisés dans les plaines de l’Europe du Nord. Les mutations sont considérables dans tous les domaines, de l’organisation du commandement aux systèmes d’armes.
Un nombre conséquent de propositions jaillissent des acteurs du terrain comme des états-majors ; certaines accélèrent des idées déjà émergentes, d’autres innovent radicalement. De ces changements, combien sont arrivées à terme, malgré tant de promesses et de certitudes !
Je me limiterai à citer quelques-unes des conséquences :
– Un premier constat se fonde sur l’indispensable interopérabilité de nos forces avec les autres notamment américaines, au niveau de nos états-majors, des procédures, des matériels ; nos avions sont adaptés pour une totale interopérabilité avec les forces aériennes américaines ; pour l’armée de terre plus que pour toute autre, l’anglais doit devenir une réelle pratique, etc.
– L’organisation de notre chaîne nationale de commandement est restructurée avec une « interarmisation » accrue, la création de structures de planification (EMIA) ou de conduite des opérations (COIA).
– Le renseignement devient un objectif stratégique dont la recherche est modifiée (DRM, satellite Hélios, nouveaux équipements de guerre électronique, drones), (durant la guerre du Golfe, la Division Daguet ne disposait que d’une photo satellite provenant de Spot, peu exploitable dans le détail).
– Un commandement des forces spéciales, réorganisées, est créé.
– Les transmissions bénéficient de satellites à haut débit (Syracuse) ou de postes à hautes performances.
– Les lance-roquettes multiples trouvent une place indispensable avec le radar de trajectographie, tandis que sont valorisés nos moyens de défense sol-air (missile Mistral Roland…).
– L’hélicoptère d’appui feu – type Apache – s’impose comme une nécessité.
10 ans ont passé.
Où sont les fertiles et nombreuses propositions qui dans tous les domaines jaillissent alors ? Où sont les certitudes qui étaient nôtres d’être désormais des acteurs essentiels dans la gestion militaire des crises internationales ?
Certes beaucoup a été fait en matière d’organisation, certes nombre d’améliorations sont apparues ici et là ; certes une armée professionnelle est née de cette guerre du Golfe, dont les aspirations et les attentes sont étiolées (en 92 au budget première mesure : moins 3.000 Evat !). Nos lieutenants d’alors devenus lieutenants-colonels, nos capitaines chefs de corps, nos colonels de Daguet généraux pensent-ils comme moi que nous ne pourrions aujourd’hui intervenir comme le fit la division Daguet, tandis que les Etats-Unis se donnent des forces bien ressemblantes.
Qu’en est-il de ces espoirs fondés sur la réalité du combat ? Triste constat :
– Véhicules de l’avant blindés exténués.
– AMX-10 RC affalés.
– Drones de nouvelle génération retardés.
– Radars de trajectographie décalés dans le temps.
– Hélicoptères Gazelle remisés, Tigre étalé, NH-90 repoussé.
– Service de santé amputé.
Bien sûr, nous avons les Leclerc mais combien en ligne ?
Que de retards et de déceptions.
Que d’amères constatations.
Les « dividendes de la paix » sont-ils donc une réduction systématique de la part du PIB consacré à la défense ; est-ce ainsi que la France veut prétendre à son rang international ?
Une certitude demeure, la valeur de nos hommes malgré un entraînement au combat amoindri, leur ardeur et leur sens du devoir mais pour combien de temps encore si la Nation rechigne à reconnaître leur place et l’adage du général Patton sera-t-il encore longtemps d’actualité : « Les guerres se font peut-être avec des armes mais ce sont des hommes qui les gagnent. »
Général d’armée Bernard JANVIER